Aires préfrontales et drogues

Lorsqu’un humain regarde il sait que ce sont ses yeux qui lui permettent de voir ce qu’il regarde. Lorsqu’il écoute il sait que ce sont ses oreilles qui lui permettent d’entendre ce qu’il écoute. Lorsqu’il prend sa brosse à dents il sait que c’est sa main qui prend la brosse à dent.

 Lorsqu’il organises ses achats pour la semaine qui vient il ne sait pas que ce sont ses aires préfrontales qui le lui permettent. 

Lorsqu’il planifie ses vacances il ne sait pas que ce sont ses aires préfrontales qui le lui permettent. Lorsqu’un humain décide d’acquérir des compétences passant par un apprentissage long, il ne sait pas que ce sont ses aires préfrontales qui vont lui permettre de maintenir l’objectif dans la durée. 

Lorsque pendant une période de sevrage du tabac une personne dépendante du tabac arrive à ne pas prendre cette cigarette qui lui fait si envie, il ne sait pas que c’est grâce à ses aires préfrontales qu’il y parvient; il en va de même pour toutes les addictions avec ou sans substance ; lorsqu’il prend quand même la cigarette il ne sait pas que ce sont ses aires préfrontales qui n’ont pas eu le dessus.

Les aires préfrontales constituent environ le tiers du cerveau. Elles sont reliées à presque toutes les autres structures du cerveau, on pourrait dire que presque tout y arrive et presque tout en repart après traitement. Elles sont les dernières à se développer dans l’évolution de l’espèce et dans l’évolution de la personne elles commencent être reliées efficacement au reste du cerveau vers l’âge de 7 ans, ce qui correspond à ce que l’observation empirique appelle l’âge de raison. Elles ne sont complètement fonctionnelles que vers 25/30 ans ce qui explique un certain degré d’impulsivité jusqu’à ces âges qui se traduit par plus de conduites à risques et plus d’accidents.

Les aires préfrontales ont un gros défaut, c’est que rien ne permet à l’humain de savoir si elles fonctionnent ou pas

Si elles ne fonctionnent pas bien il y a anosognosie, c’est à dire une absence de conscience du trouble. Si elles fonctionnent bien il y agnosie, c’est à dire une absence de conscience du fonctionnement normal.

Quand vous demandez à quelqu’un : « comment vas tu ? » il est rare qu’on vous réponde « ah en ce moment tout va mal, mes aires préfrontales ne me font faire que des bêtises, elles ne sont pas capables de me faire faire ce que je devrais faire».

Si ces aires sont lésées, de manière anatomique ou fonctionnelle, apparaissent des signes qui ne seront détectables que par l’entourage.

Trois catégories de signes 

Selon le type d’atteinte et les circonstances on pourra observer trois grandes catégories de signes plus ou moins intenses. 

1- Une pseudo dépression avec apathie, une adynamie, une réduction de la spontanéité verbale, avec souvent une aprosodie c’est à dire une perte des intonations du langage. Un manque d’intérêt pour les activités de la vie quotidienne. Une indifférence affective.

2- Un état pseudo maniaque avec une désinhibition sociale, une euphorie, une surexcitation. Une irritabilité, une agressivité. Un langage égocentrique et mégalomaniaque. Une logorhhée. Une irresponsabilité. Des plaisanteries niaises à connotations souvent sexuelles.

3- Dans tous les cas on note un comportement obsessionnel, compulsif, avec des persévérations dans l’erreur et une absence de flexibilité mentale. Une dépendance à l’environnement qui se traduit par des comportements d’imitation des autres, ce qui  peut rassurer faussement l’entourage : pendant que le sujet est en présence d’un autre sujet sans problème il va l’imiter et avoir un comportement normal. Des troubles de l’attention. Des troubles du langage. Des troubles de la mémoire.

Dans les grandes formes les rapports aux autres humains ne connaissent que 3 schémas : Ignorer l’autre, l’utiliser à son profit, l’éliminer s’il est un obstacle au but du moment. Un patient drogué disait : « mon copain c’est ma poche et ma femme c’est la came », et il ajoutait aussi un dicton qui circule parmi eux : « chez les enculés il n’y a pas de doublure » ce qui témoigne de l’extrême désespérance de ces humains.

Les aires préfrontales devraient être considérées comme le sanctuaire de l’homme

Les aires préfrontales devraient être considérées comme le sanctuaire de l’homme, la structure à protéger de tout ce qui peut les faire dysfonctionner, surtout pendant les 30 premières années de la vie. Elles doivent bénéficier de ce qui les fait fonctionner au mieux, et on doit leur éviter ce qui les empêche de bien fonctionner. 

Elles aiment l’activité physique régulière et sans excès, elles n’aiment pas du tout l’alcool ni le cannabis ni les autres drogues. Elles n’aiment pas non plus la pornographie. 

Le cerveau est la seule structure de l’univers connu qui ait la propriété de voir sa structure matérielle modifiée par un simple apport d’information.
On peut donc proposer aux patients dépendants des techniques de neurofeed-back cognitif. Cela consiste à montrer avec des images ce que l’alcool ou le cannabis font au cerveau. Cela peut se faire grâce à l’imagerie cérébrale moderne, après avoir expliqué ce que sont les fonctions préfrontales. 

Pour les canabiques on peut montrer les images d’Irmf qui objectivent le dysfonctionnement  préfrontal comme on le voit dans cette étude espagnole (ci-dessous) : en haut un cerveau normal, en bas un cerveau sous cannabis ; on voit bien le fonctionnement diminué des aires préfrontales.

Pour les alcooliques on peut utiliser cette imagerie de tractographie qui montre la fonte de la myéline autour de axones de la substance blanche. On leur explique qu’avec de la myéline l’influx nerveux va à 300 km/h et sans elle à 3 km/h. L’alcool ralentit donc tout le fonctionnement cérébral et coupe ainsi pratiquement  les aires  préfrontales du reste du cerveau, ce qui  revient là aussi à créer  un syndrome préfrontal. 

On voit sur l’image du haut un cerveau normal et sur l’image du bas un cerveau alcoolique. A gauche ce sont des images en irm et à droite des images en tractographie. 
En Irm à gauche on voit que les ventricules sont plus larges car le cerveau a diminué de taille; cela s’explique à droite par la fonte de la myéline, l’isolant qui se trouve autour des nerfs. On pourrait dire que l’alcool est un dissolvant de cette précieuse myéline.

En conclusion il faudrait bien réaliser que ces structures permettent de se projeter dans l’avenir, d’avoir des sous projets intégrés dans des grands projets et de les tenir dans la durée. De dire non à ses pulsions de l’instant et de piloter ses sentiments, d’être maître de soi. D’accéder à l’abstraction et à l’altérité. D’avoir ce qui fonde un humain abouti et capable de vivre en société.

L’avenir de l’humanité passe par la protection de la jeunesse

Des milliers d’études depuis de nombreuses années montrent que les drogues, et singulièrement l’alcool et le cannabis, viennent empêcher définitivement la bonne  mise en place des aires préfrontales chez les jeunes qui s’y soumettent.  Les aires préfrontales abimées pendant l’ontogénèse ( le développement de la personne) ne connaîtront jamais leur optimum et parfois génèreront des maladies mentales comme des dépressions ou des psychoses.

Nous avons dit que ces structures devraient être considérées comme le sanctuaire sacré de l’homme. Elles doivent être protégées de la façon la plus catégorique, il en va de la continuation de l’aventure de l’homme sur cette terre.

Le défi de la médecine du 21 ème siècle est de libérer l’homme des addictions qui pèsent si fort sur le cours de nos sociétés. Ce programme devrait s’étendre sur plusieurs générations parce qu’on sait bien maintenant que les altérations de l’expression des gènes, provoquées par la prise de drogues par les parents, vont se transmettre sur plusieurs générations, c’est ce que nous apprend cette science toute neuve qu’est l’épigénétique. 

Cela nous rappelle cette phrase du prophète Ezéchiel : « Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants en ont les dents abimées ». On sait maintenant que même les petits enfants en subiront les conséquences.


Pour approfondir le sujet :

Les fonctions corticales supérieures de l’homme, Alexandre Luria,  découvreur des aires préfrontales. PUF, Psychologie d’aujourd’hui, 1978, 570 pp.

L’erreur de Descartes,  Antonio Damasio. Odile Jacob poche, 2010. Être rationnel, ce n’est pas se couper de ses émotions. Contre tous ceux qui voudraient réduire le fonctionnement de l’esprit humain à de froids calculs c’est ce que révèlent les acquis récents de la neurologie : l’absence d’émotions et de sentiments empêche d’être vraiment rationnel. (extrait piqué à la FNAC)

Rapport de l’académie de médecine : « Méconnaissance du cortex préfrontal » dirigé par le Pr Dubois. Février 2021.

Etude de la préfrontalité et applications à la pratique clinique,  thèse de médecine du Dr Emmanuelle Laroudie Brosset-Heckel, 2012, 180 pp.